Le 16 août, c'est la Saint Roch, le saint préféré des Montpelliérain.ne.s !
Comme vous pouvez le constater, Saint Roch ressemble à un gars qui se baladerait en trottinette électrique pour se rendre au Marché du Lez, y déguster la bière sour d'une microbrasserie locale (l'IPA c'est trop mainstream), avant d'aller à une guiguette électro-trad en off de Palmarosa.
Pendant mes visites, j'ai tendance à le présenter comme le saint le plus sexy de tout le catholicisme. Car oui, comme sur l'image ci-dessus, Saint-Roch est très traditionnellement représenté en tenue de pèlerin, accompagné d'un chien, remontant sa robe et montrant sa cuisse. Pourquoi ?
Le sujet de ce post n'étant pas Saint Roch lui-même, je vous résume très rapidement sa légende hagiographique ;
Saint Roch, médecin né à Montpellier au XIVe siècle, perd ses parents, victimes de la peste noire. Il donne alors tout son héritage, et part en pèlerinage à Rome, où il se lie d'amitié avec le pape. Sur le chemin de retour vers Montpellier, à force de soigner les pestiférés, il contracte la terrible maladie. Ne voulant pas contribuer à propager la peste, il décide de s'isoler au fond d'un bois pour y mourir seul. Là, il est découvert par un chien qui le prend en pitié : il lui lèche les plaies et surtout vole trois jours de suite du pain chez son maître pour le nourrir. Ce dernier, intrigué, finit par suivre le chien et, lorsqu'il découvre Roch, il est miraculeusement et instantanément guéri par Dieu. Ainsi, Saint Roch montre sur sa cuisse la marque noire laissée par la peste en témoignage du miracle.
Voilà pour la légende en version courte. Pour la version longue... venez faire une visite "Montpellier Légendaire" ! Mais bon, si vous insistez en commentaire, je vous la raconterai ici...
Aujourd'hui, je voulais vous parler de ça :
La statue de Saint Roch, à l'intérieur de l'église Du Même Nom (d'ailleurs, à l'occasion, je vous raconterai aussi l'histoire de la construction de l'église Saint Roch, c'est plutôt rigolo).
Finesse d'exécution, expressivité, impression de légèreté, de mouvement, : cette statue est un chef d’œuvre.
Je suis souvent moqueur, c'est vrai. Mais là, je n'ai rien à dire... c'est tout simplement magnifique.
Rien à dire, vraiment ? Vous êtes sûres qu'y a pas un truc qui cloche ?
POURQUOI QU'IL NOUS MONTRE PAS SA CUISSE, LE SEXY SAINT ??
Cette statue en marbre date de 1892 (elle fut inaugurée en 94) et a été exécutée par Auguste Baussan (modestement surnommé en son temps "le Michel-Ange montpelliérain").
Bien sûr, on ne sait pas à quoi ressemblait Saint Roch, il n'y a pas de portrait d'époque (et le fait que Saint Roch n'ait pas d'existence historique ne simplifie pas la tâche, vous vous en doutez bien). Charles Jamme, administrateur de la paroisse Saint Roch, décide de faire d'une pierre deux coups en représentant le saint sous les traits du peintre montpelliérain Frédéric Bazille, mort à 29 ans lors de la guerre franco-prussienne de 1871 (Pour en savoir plus sur Frédéric écoutez le podcast que j'ai fait à son sujet pour le musée Fabre).
Frédéric étant de plus un ancien élève et ami de Baussan, ce dernier fut ravi de l'idée. Seulement voilà, il y avait un soucis. Un petit problème. Un léger détail embêtant.
Frédéric Bazille n'était pas catholique, mais protestant.
Alors, très respectueusement, Charles Jamme est allé demander à Camille, la maman de Frédéric, la permission de représenter son fils sous les traits d'un saint catholique à moitié à poil.
Je l'imagine, presque sur la pointe des pieds, dans le salon des Bazille au domaine Méric (oui, c'était à la famille Bazille), en train de s'adresser à Mme Bazille presque en murmurant :
"Camiiiiiille ? C'est à propos d'une toute petite statutounette qu'on voudrait faire avec M. Baussan, et on voudrait lui donner le visage de Frédéric pour lui rendre hommage...
_ Oh ! Mais c'est très touchant ! Quelle charmante idée ! Mais, vous dites, mon cher Charles, "lui donner le visage". Ce n'est donc pas une statue de mon regretté Frédéric ?
_ Non... enfin, oui... enfin... vous voyez, pas précisément... c'est pour figurer un saint, vous voyez, alors on se demandait si ça vous choquerait pas, vu que, vous voyez, vous êtes calviniste et tout... vous voyez ?
_ Ooooooh mais que vous êtes délicat mon bon ami ! Nous sommes certes calvinistes mais pas intégristes. Nous le prendrons comme une magnifique expression de l'amitié que vous portiez à Frédéric ! Et M. Baussan a un tel talent, je suis sure que ce sera magnifique ! Et quel saint aura l'avantage d'avoir le beau visage de Frédéric ?
_ Saint Roch
_ Plait-il ?
_ C'est Saint Roch...
_ Parlez plus fort, mon bon, je n'entends pas ce que vous baragouinez ! Du nerf bon, sang ! Saint qui ?
_ SAINT ROCH !!!
_ ...
_ ...
_ Saint Roch, donc.
_ Voui.
_ Dîtes, je ne suis pas experte en saints, mais votre Saint Roch, ce serait pas le clodo exhibitionniste, par hasard ?"
Oui. Camille n'était pas enthousiaste à l'idée de son fils montrant son galbe avantageux aux passant.e.s pour les siècles des siècles. Ainsi, elle accepta la statue, mais à la condition que Saint Roch n'y montre pas sa cuisse.
L'oeuvre de Baussan est donc chaste, et le miracle est évoqué par un bandage sur la cuisse du saint. Tellement chaste, d'ailleurs, que le bandage est posé par dessus le pantalon, ce qui doit pas être top du point de vue médical, mais au moins la morale est sauve.
Et c'est ainsi que, dans l'église Saint Roch de Montpellier, vous trouverez le seul saint catholique protestant du monde.
A bientôt pour une autre histoire !
Comments